mercredi 3 décembre 2014

Jour 44 / Nouveau commencement !



La maison gisait au fond des bois. Entourée de chênes, refuge des âmes, elle semblait nous attendre depuis toujours. Un vague chemin y menait. Le rythme cahotant de la voiture nous y conduisait. Chaque sursaut, grincement de la mécanique rappelait le ressac de nos existences.
Les phares balayaient les bas-côtés, faisaient surgir ombres et fantômes. La musique hurlait dans l'habitacle. Un éclat de rire s'en dégageait parfois.

Dans un dernier sursaut, nous sommes arrivées, avons déchargé la voiture. Les clés ont été trouvées au fond d'un sac, la porte ouverte et la maison occupée. Un peu de poussière recouvrait les meubles. L'odeur d'humidité régnait partout. Le froid nous imprégnait petit à petit…

Dans un craquement d'allumettes, le feu a jailli et réchauffé nos mains. Nous avons jeté nos affaires un peu partout, commencé à faire de ce lieu un chez-nous.

Nous nous sommes toutes réunies au matin. Emmitouflées dans nos couvertures, nos gilets, tasse de café ou mug de thé à la main, soufflant de concert et sirotant dans le calme. L'air embaumait la brioche fraîchement grillée et le beurre fondu.
La brume du matin se dissipait. Vagues après vagues, ses nappes nous quittaient. Le ciel se teintait de rose et le soleil timidement nous lançait ses rayons. L'herbe scintillait. La vie se réveillait autour de nous.
Nous ne disions rien. Pas encore. Savourions ce moment de retrouvailles, ce moment que nous avions tant différé...

mardi 7 octobre 2014

Jour 43 / ...

Non, ce blog n'est pas mort... 

Je réfléchis... Simplement. Et comme j'ai le processeur un peu lent, ça prend du temps. 

En attendant, enjoy :)



samedi 6 septembre 2014

Jour 42 / Dix-sept

Je ne sais pas s'il y a vraiment une fin à cela. Pourrais-je jamais cesser de t'écrire ? Pourrais-je jamais cesser de t'aimer ?
Quoi qu'il arrive, tu nous accompagnes sur nos pas. Quoi qu'il arrive, des morceaux de toi restent épars à la maison, parmi nous. Certains sont tranchants, et on ose à peine les regarder. D'autres scintillent, appellent nos sourires et nos rires. Quoi qu'il arrive, nous ne t'oublierons pas.

Quoi qu'il arrive, tu resteras mon papa et tu me manqueras… Mais, c'est pour cela que, tous, quoi qu'il arrive, nous vivrons et aimerons, encore, encore, toujours… sans toi, pour toi…


samedi 30 août 2014

Jour 41 / Aujourd'hui / Seize

Le monde que tu as fuis, celui dans lequel je vis aujourd'hui auraient sans doute pu se rencontrer. Je ne sais si tu l'as jamais vu…


Quand je ferme les yeux, il est là...


La musique résonne. L'air y frémit, vibre. On avance pas à pas, dans un glissement furtif, les mains effleurant les herbes qui y poussent. Ce n'est jamais qu'un jardin aux dimensions de notre âme.
Mille senteurs le parfument. Du sol chaud battu par la pluie, de l'herbe tondue et du foin fraîchement taillé, du pain en train de cuire, de fleurs en pagaille, de l'iode de la mer, du bois coupé, du parfum d'un amour…
Mille sensations le parcourent. Le moelleux d'une couverture, la fraîcheur de la pluie sur le visage, la douce pression d'une main, la chaleur d'un feu de bois, les picotements d'une pelouse un peu sèche, la douceur d'un pelage de chat…
Mille bruits y résonnent. Le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, le lent va-et-vient des vagues, les rires de ceux que nous aimons, quelques notes de piano…
Tout nous y enveloppe de douceur.
Ce n'est pour autant un monde serein. Le tonnerre y gronde parfois. Le vent vient en frapper violemment les parois. Des cris stridents se font entendre, suivis d'un silence lourd, menaçant. L'effroi me saisit dans son armure de douleurs. L'ombre noire qui t'a happé me poursuit encore, désireuse de saisir une nouvelle proie.
Pourtant, elle perd du terrain, s'efface de plus en plus et ne parvient plus à résister. De simples notes de kalimba la réduisent à néant. Ses griffes se rétractent, lâchent leur proie. Elle gémit, de noire devient grisâtre, de géante devient naine, de monstrueuse devient négligeable… Elle sait qu'un jour elle ne sera plus.


Et mon monde se déploie. Celui où tu aurais pu vivre si tu en avais eu la force. Ce monde de tous les possibles, de tous les imaginaires, où il fait bon rire et vivre.
Une guitare fait entendre ses accords. Un air de jazz… L'improvisation n'est pas loin. La vie n'est pas loin.


Allons-y.



samedi 23 août 2014

Jour 40 / Quinze

Les années ont filé. Incertaines, bancales.
Celle de 20 ans a dû faire un choix. Elle ou lui. Pardonner ou non. Se pardonner ou non.
Je ne sais pas vraiment ce que tu es devenu pendant ces années où je ne te prêtais plus qu'une attention distraite. Je sauvais ma vie, en rassemblait les morceaux épars, reconstruisait un ensemble à peu près cohérent. Elle disparaissait. Je voulais à tout prix vaincre celle qui n'était pas moi, celle qui me rongeait et m'empêchait de vivre. Je voulais à nouveau avoir accès à tout ce que je suis, à toute la beauté du monde. A tout, tout...
Pourtant, Elle réapparaissait, réapparaît encore. Par moments. Elle redevient cette ombre qui m'a hanté pendant des mois. Il est tellement plus facile de lui céder que de l'affronter. Tellement plus facile de se laisser détruire par des mots qu'on a entendu à maintes reprises. Tellement plus facile de croire que personne ne nous attend. Tellement plus facile de ne plus vouloir rien ressentir. Tellement plus facile de rejeter ceux qui nous entourent et nous aiment.
J'ai compris ce que tu vivais, que Lui n'était après tout qu'un symptôme, une apparition, l'incarnation monstrueuse de ta souffrance. Si ce monstre était bien là, présent dans sa cruauté, ses cris, ses colères, c'est que tu ne parvenais plus à te battre. J'ai pu alors te pardonner. Pas à Lui, mais à toi, le papa que j'embêtais petite, celui qui me réconfortais, celui qui, s'il n'était pas très doué comme parent, m'aimait.
Se battre est douloureux. Scruter la noirceur qui nous habite, en prendre la mesure et refuser de lui céder. Se débattre de toutes ses forces. Nager à contre-courant. Courir dans le noir. Chuter et se relever encore.

Pour faire disparaître Elle, je dois sans cesse retrouver le cœur qui est mien. Faire vibrer mon âme, encore et encore. Trouver les notes qui sont miennes et dérouler la partition...

samedi 2 août 2014

Jour 39 / Quatorze

Dis...
Tu sais quand tout a commencé à s'obscurcir ? Quand cette masse informe, sombre est entrée dans nos vies ?
Quand s'est-elle glissé insidieusement, glaçant nos âmes ?
Elle est d'abord entrée en toi, creusant son sillon dans ton esprit, ton cœur. Puis, elle a lentement labouré le champ de tes idées, lançant ses griffes de plus en plus loin, plantant ses serres au plus profond de ta chair. Elle a lentement étouffé ce qui était toi, t'a privé d'oxygène, t'a lentement absorbé. Et a laissé à ta place ce lui, celui qui nous était inconnu et avec qui nous avons dû vivre tant d'années.
Tu es devenu sa marionnette, lente et glacée. Tu es devenu ombre toi-même. Lui est apparu et nous a terrifiés.
Tu existais encore par moments. Au travers de tes mots, de tes rires, de ta présence maladroite, tu restais le papa qui avait bercé mon enfance. Mais, tu n'étais plus présent que par éclipses, de plus en plus rares, de plus en plus courtes. Te voir ainsi me faisait souffrir. Je devenais toi, étais malade moi-aussi. L'ombre m'enserrait, m'étouffait. J'avais peur...
Peur de ce lui, de cet homme qui cachait ce petit garçon hurlant son chagrin, son besoin d'être aimé. Peur de cette ombre de colère, d'angoisse qui ne parvenait plus à s'exprimer.
Il a pris toute la place à la maison. Nous avons tous vécus dans la peur de le voir se manifester, dans le constat de notre échec année après année, de la lente décomposition des liens qui nous unissaient. Nos attaches ne rompaient jamais complètement. Nous restions présents malgré tout, assistant impuissants à cette montée en puissance du malheur.
Lui incarnait tes aspects les plus sombres. La lumière a quitté tes yeux, ton visage, ton corps. Tu te négligeais, devenais un fantôme parmi nous. Lui prenait de plus en plus de forces, se nourrissant de ton chagrin.
Il a absorbé jusqu'à la dernière goutte de ta vie, a guidé tes pas jusqu'au dernier instant. Il t'a broyé encore et encore, ne te laissant aucun répit. Son emprise ne se desserrait que pour mieux te faire sentir sa force et te détruire à nouveau. Ce monstre n'a jamais cessé de te murmurer que tu ne serais jamais digne d'être aimé, toi, l'enfant que l'on avait délaissé. Et c'est ce murmure qui t'a tué...
Les mots peuvent nous sauver, le sais-tu ? Pourquoi, toi, a-t-il fallu que tu ne croies que ceux qui te faisaient du mal ? Pourquoi ?
Lui est parti, enfin... T'a-t-il laissé en paix ?



A suivre...

samedi 26 juillet 2014

Jour 38 / Treize

Celle que j'étais à 20 ans est celle de la croisée des chemins. Celle qui avait tes symptômes, qui sentait son esprit lui échapper, et glisser, glisser encore. J'avais peur de tout, peur du monde, peur de ce qui se cachait tout au fond de moi. Rien n'avait plus de sens.
Je me sentais creuse et vide. Vide de sentiments. Je ne savais plus rire, moi qui aime tant cet éclat de joie. J'errais dans un monde d'ombres, de silences, de larmes.
La vie m'écrasait de tout son bruit, de toute son agitation. Elle m'épuisait. Je ne souhaitais qu'une chose : m'en retirer. Pourquoi se battre quand tout nous échappe ? Quelle était ma place ? Pourquoi, moi, je n'étais pas capable d'être comme les autres ? Qu'est-ce que ce monde qui n'en finit pas de nous blesser ? Qu'avais-je fait de mal pour en arriver là ? Quoi ?
À quoi bon...
J'avais peur de devenir lui. De finir par tellement te ressembler que moi aussi je disparaîtrais dans les abîmes du chagrin, dans ce monde qui n'en est pas un, qui nous éloigne de tous ceux que nous aimons.
Cette angoisse m'a ranimée. Paradoxalement. Je ne voulais pas devenir lui, pas être une simple enveloppe corporelle errant dans les rues, dans mon appartement, allant en cours. Je me suis raccrochée à tout ce que je pouvais. Mon esprit a cessé sa grande glissade infernale. Sans m'en rendre vraiment compte, j'ai pris le chemin du retour. Le jour où j'ai à nouveau ri, j'ai su. Su que j'avais quitté ce monde silencieux et effrayant où, toi, tu vivais. Su que j'avais retrouvé une place dans ce monde de bruits, étrange et mien aussi. Su que peut-être je pourrais te pardonner. Su que j'étais.



Je suis.



A suivre...

vendredi 18 juillet 2014

Jour 36 / Onze et Douze (Celle de 20 ans)

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Au coin de mon cœur, elle habitait seule et perdue. Airs inachevés au coin des lèvres, regard sombre que l'on n'ose scruter, elle allait de par les rues en passant, passante parmi les passants, pensant à ce qu'elle aimait.

Une saute de vent soudaine la faisait regarder vers les nues. Feuilles mortes aux pieds, elle bruissait à chaque pas, insouciante et sévère.

On la croisait, absente parmi les présents. Elle ne parlait qu'à ceux qu'elle aimait et faisait du bruit pour les autres. Si on lui avait demandé ce qu'elle voulait, ce qu'elle aimait, elle aurait sûrement dit : "Je ne sais pas", un songe dans la voix.

Elle ne se sentait pas vivante parmi les vivants, mais simple silhouette aux contours dilués qu'une saute de vent ferait s'effacer. Mais, si un jour on l'apprivoisait, alors peut-être sortirait-elle de sa tanière... l'amour au cœur et le sourire aux lèvres.



12

La parenthèse bleue. Celle qui laisse tout couler, les mots et les larmes.
C’est une parenthèse de liberté, d’ivresse et d’absurdités.

La parenthèse bleue

C’est un moment de folie comme on en fait peu. C’est un moment d’oubli que rien ne peut combler. Je la vois cette parenthèse qui entoure entre ses bras tentateurs tous mes doutes… Tout… Tout ce que je voudrais cacher. Loin sur les terres encore évanouies de mon esprit, elle erre… et enserre mon âme. Se noyer dans ce bleu envoûtant pour oublier ce qui cause ce désarroi. Se fondre dans ses bras pour n’être plus cette chose solitaire. Chose dans le noir, qui lève la tête et ne voit que ce ciel encre de chine.

Toi qui lis ces mots, tu ne sais pas qui je suis, et moi, je ne veux pas te conter d’histoires, maigres réminiscences de ce que j’ai croisé sur ma route. La parenthèse bleue, là où tu poses tes pieds.

Me soûler de mots, subtil poison. A chaque lettre, envenimer mon esprit. Arracher le peu fictif pour croire en un ailleurs.

Et, ne rien laisser aller. Battent, battent… battent mes idées folles. Toi qui ne veux rien entendre, écoute ce murmure ensoupiré. Soupir de rire, soupir des jours. J’ai tant de mal à marcher toute seule. Si faible, si peu courageuse… je ne veux plus avoir ces maux à mots, ce silence d’absence comme si je n’existais plus. Pour toi…

La parenthèse bleue, c’est le moment où tout est détruit. Pas d’égards. Mots, tuez ce monde qui me fait tant souffrir. Vibrez de toute votre âme, crépitez sur son esprit. Détruisez tout, moi, lui, nous… Les vents déchaînés soufflent et crachent. La brume exhale un peu de chaleur pluvieuse. Un moment où tout résonne, écho de plus en plus proche. Ce sentiment d’inéluctable qui m’oppresse jour et nuit, envahit tout. Il fait si beau et tout est si malade.

Cette pourriture bleue de mon espoir, sans cesse rejeté, croît sur les pas que je laisse devant moi. Cette exhalaison parenthèsée ne connaît plus rien que la souffrance de savoir que rien ne vaut. Que tout n’est que pâle figuration de la réalité.

Tambour sur eau. Ciel d’herbes coupées. Vague traînée de têtards sur ce sol sec. Roseaux, ne pleurez plus. Je crois que cette neige sèche ne s’effacera pas. Elle a laissé tant de morceaux épars.

Rien n’est oublié et rien n’est pardonné. Mais qu’importe. Le désespoir n’est qu’un vent d’automne ennuagé qui rampe, là, à tes pieds. Et moi, seule au milieu de ce chaos bleu, tente de ne plus pleurer. Mon esprit, ce monstre tentaculaire, s’est replié. Pourtant, pourtant… Mes larmes ne sont pas loin. Tristes traces de ce qui n’est plus, ne sera pas.


Quand je lève la tête, je ne vois plus rien. Ce brouillard de pensées m’inonde, m’emplit et me vide. Ressac amer. Amertume larmée. Je ne bouge plus. Je t’attends même si tu ne viendras plus. La parenthèse bleue, je détruis et empoisonne ma vie…

Jour 35 / Détente féline...


lundi 30 juin 2014

Jour 34 / Neuf et Dix

9

Mes plus vieux souvenirs sont flous, épars et clairsemés.

Je regarde mon arrière-grand-mère se coiffer, préparer son chignon. Elle me paraît grande, elle qui ne devait pas mesurer plus d'1 mètre 50. Je joue avec elle. Je suis le chien des voisins (qui n'en ont pas d'ailleurs) qui vient agacer les poules de ma mémé (qu'elle n'a pas non plus). Je circule à quatre pattes dans la petite pièce, passe sous la table, entre les chaises.

Je suis chez ma grand-mère maternelle. Je regarde Scoubidou tôt le matin. Je trouve ce dessin animé hilarant. Je m'amuse autour de la maison. A l'époque, du goudron l'entoure. Un jour, pour embêter mamie, je lui pique une casserole et très fière de mon tour, cours autour de la maison en riant. Fin de la fête. Je tombe, me blesse le genou. Je garde encore aujourd'hui la cicatrice de mon vol plané. Papy joue aussi avec moi. Une fois, chez mes parents, on joue à la balle tous les deux. Je crie. Notre chien, persuadé que mon grand-père me fait du mal, le mord. Rien de grave.

Chez ma grand-mère paternelle, ce sont comptines, activités dans le jardin. J'aime marcher pieds nus dans la terre fraîche. Ce contact me met en joie. Je me lave ensuite les pieds dans un seau d'eau. Seau qui se renverse un jour, quand je m'assois sur son bord.

Entrée en moyenne section. Je suis dépitée. Ce n'est pas cette année encore qu'on va apprendre à lire, que je vais apprendre à lire.

Grande section. Un garçon dans ma classe n'arrive pas à compter jusqu'à 10. Ça m'agace. Je me vois, le temps d'une récréation, essayer de le lui apprendre.

Je dois avoir 8 ou 9 ans. Je suis dans les vergers qui sont de l'autre côté de la route par rapport à notre maison. On va ramasser des pommes. Maman, papa, mon frère sont là. Peut-être mamie aussi. On doit être en automne. Il ne fait pas très beau, mais ce verger sent bon. Il est tout en pente. On peut le dévaler à toute allure. On en profite aussi pour ramasser des châtaignes qu'on mangera à la maison.

Hiver. Papa a apporté du houx pour décorer la maison, mais toutes les petites baies rouges sont tombées. Maman prend du coton et de l'éosine. Doigts rouges et prothèses de baies. À Pâques, elle fabrique des nids avec la paille de la ferme pour y mettre nos chocolats.

Quand je lis, je n'entends plus rien. On peut m'appeler deux, trois fois avant que j'entende qui que ce soit. J'emmène des livres partout. Lis à un mariage alors que les autres enfants autour de moi jouent. Lis en cachette, jusqu'à 23 heures, minuit. Ô douceur de la clandestinité.
L'école, mon autre territoire, occupe mon esprit. On y apprend tant de choses intéressantes. Les vacances sont vraiment une perte de temps. Mon cerveau a soif. Éponge, il absorbe tout, sans distinction.

De la maison de mes grands-parents à l'école, il y a 5 minutes de marche à pied. 5 minutes de rêveries. On passe sous un chêne, dont une des branches n'en finit pas de pousser et de surplomber le chemin. J'adore les arbres.

Mes plus vieux souvenirs sont flous, épars et clairsemés.

Mais ils ont en eux la douceur de l'enfance,
du temps des rires et des jeux,
des créations que les adultes font pour nous.
Douceur du temps passé.

La petite fille que j'étais m'apparaît, bouclettes au vent, sourire au visage, rêveuse, un peu ailleurs, sûre d'elle, confiante.


10

J'ai mis du temps à revenir sur ces pages. Le temps de rassembler mes idées, de retrouver mon cœur, le cœur de cette histoire, de notre histoire. J'aimerais pouvoir m'installer et écrire, écrire, et écrire encore, ce qui était prévu.
Mais...
Les choses ne fonctionnent pas ainsi. Je ne choisis pas. Les mots me quittent parfois. Il me faut alors attendre leur retour. Ce n'est pas moi qui décide. Pas pour cela.

Mais maintenant, je suis là. Présente, vraiment présente. Prête à retracer mon parcours, notre route.

Tu ne m'as pas trop attendu ?

Que pouvais-je bien faire ?

N'est-ce pas ?

Je réfléchissais. Encore. Perdue dans mes idées, mes souvenirs, mes désirs. J'attendais que le fil décousu de mes pensées se retisse, se noue, et me dessine le chemin que je devais suivre.
J'ai lu, rêvassé, écouté de la musique, regardé des films, ri, marché dans les rues tard le soir, nourri mon âme de ce que j'aime, cherché la chaleur que donne l'amour d'une famille. Et le chemin m'est apparu, bancal, imparfait, confus. Mien en somme.

Marchons un peu, veux-tu ? Tiens-moi par la main. Porte-moi sur tes épaules comme quand j'étais petite.


Voyons le monde tel qu'il est. Voyons le chemin parcouru...

vendredi 20 juin 2014

Jour 33 / Huit

J'ai grandi à la campagne, dans un petit village qui comptait plus de vaches que d'habitants.

Village lové au creux d'un virage. Autour, collines et champs, cultures et senteurs, chemins, routes, buissons et arbres. On peut le traverser sans s'en rendre compte. Un village parmi tant d'autres, avec ses familles, ses histoires, ses racontars.

Nous habitions à l'une des extrémités de ce village en virage. Nous avons appris rapidement à traverser la route avec prudence. Nous avons goûté toutes les joies d'une enfance à la campagne. J'ai grandi, là, avec l'envie de partir un jour. Partir pour découvrir des horizons plus vastes, puisque, armée de mon enfance, je ne risquais rien.

Notre maison était suffisamment grande pour que nous puissions jouer sans nous soucier de déranger qui que ce soit. Le jardin, la cour et la ferme composaient un magnifique terrain de jeu. Je ne sais plus s'il me paraissait vaste. Néanmoins, ce tout représentait un territoire à conquérir et envahir. Il fallait de l'audace pour faire le tour de la ferme à vélo, rouler sur les pierres, franchir les obstacles. Il fallait du courage pour côtoyer les vaches, veaux, taurillons. Dans ma tête de petite fille, le monde que je voyais se prêtait à toutes les rêveries possibles. Finalement, je n'ai de toutes ces années que des souvenirs épars. Les jours devaient s'écouler les uns après les autres, semblables, frères.

Peu de visages le peuplent. Mes grands-mères, mon grand-père, mon arrière-grand-mère, ma mère, mon père, mon frère, ma sœur. Mon monde était restreint, mais peuplé des personnages que je croisais dans mes lectures. Ces-derniers avaient bien plus de vie que les gens autour de moi. Le territoire intérieur que je me construisais avait certes un lien avec l'extérieur, mais le surpassait en tout. Lire, c'était vivre. Et c'était Tout.

La seule chose qui pouvait me mener au-delà s'incarnait dans l'école. Apprendre, comprendre, savoir, expliquer étaient une source inépuisable de bonheur et de satisfaction.


Aller à l'école, lire, rêver, jouer... 

vendredi 23 mai 2014

Jour 32 / Promenade du soir



Comme un cri de l'âme
Un souffle du cœur
Sans répit, arpenter les rues
Croiser ceux que l'on aime
Et marcher, marcher encore
Encore...

samedi 26 avril 2014

Jour 31 / Vers un ailleurs...

Pourquoi moi demeuré-je...

Je me dis souvent que pour sauver mon père, il aurait fallu sauver le petit garçon qu'il était. Celui qui, j'en suis certaine, était plutôt gentil, faisait quelques bêtises et avait surtout besoin d'être aimé. On ne peut pas bien grandir sans amour. Si je le pouvais, j'irais le chercher pour lui dire de ne pas s'en faire, de ne pas s'inquiéter, que les paroles de certains adultes sont sans fondement, qu'il est mignon et intelligent. Je lui murmurerais de ne pas oublier qu'il est attendu, qu'on va l'aimer autant qu'on peut espérer l'être.

Ce petit garçon si frêle, si inquiet, qui n'a jamais pu vraiment grandir, j'aimerais être sûre que maintenant il a compris. Compris qu'on ne peut rien attendre de certaines personnes, mais qu'on peut attendre tout d'autres. Et que ces personnes-là sont présentes, toujours. Elles vous tiennent par la main. Jamais elles ne vous laissent, même quand elles sont fatiguées de vous, de vos bêtises.


Inlassablement,
Elles reviennent,
Vagues d'amour embrassantes.









Tu as entendu, hein ? Est-ce que tu comprends maintenant ?


Non, on ne disait pas pour te faire plaisir qu'on t'aimait, que tu avais réussi ta vie. On te le disait parce que c'était vrai. On ne t'embêtait pas par plaisir mais parce qu'on voulait que tu vives. Avec nous et pas à côté. On voulait que tu sois heureux avec nous, enfin heureux, que tu tires un trait sur ce qui t'avait fait tant souffrir pour te concentrer sur ce qui t'attendait.


Oui, oui, tu as merdé. Tant pis, je ne t'en veux pas... plus. Mais tu as intérêt d'être heureux maintenant. Sinon, je te jure que ça va barder quand on se retrouvera. Tu as vraiment intérêt d'être heureux, d'être enfin en paix. Sinon, je ne pourrais pas accepter que tu nous aies laissés. Tu es enfin libre, pas vrai ?





Alors, va.



A suivre... 

samedi 19 avril 2014

Jour 30 / Sept

Aujourd'hui, près de 8 mois plus tard, tu me manques. Tu es toujours avec nous, le sais-tu ? Par moment, on recrée les phrases que tu nous aurais adressé. Succédané de ta présence, de toi...

On maudit ta famille qui ne nous laisse pas, qui ne te laisse pas en paix.

J'ai l'impression de te voir parfois. Plus jamais, tu ne me mettras en colère ni ne m'exaspéreras. Et là réside mon chagrin... Le vide, le manque, l'absence... Franchement, tu as toujours eu des idées à la con. Tu aurais pu t'abstenir pour la dernière, mais, en même temps, elle te ressemble...

Quand j'avais 18 ans, je pensais qu'à ta mort je ne te pleurerai pas. Toute la souffrance que tu m'avais infligée me faisait te haïr. J'avais tort. Les enfants aiment leurs parents, malgré tout, malgré eux, quoiqu'il arrive. Tu le savais pourtant...

Je crois que je peux vivre avec toi et ton absence. Je pense savoir comment faire. Après tout, nous ne sommes vraiment morts que quand plus personne ne se souvient de nous, ni ne parle de nous. Tant que tu seras dans nos souvenirs, nos mots, nos rires, tu seras vivant. Tu peux râler, mais c'est ainsi... Jamais nous ne te laisserons dans l'abîme, dans ce précipice du chagrin où tu t'es jeté.


Nous construirons autant de fois qu'il le faut le pont pour te ramener à nos côtés. Autant de fois qu'il le faut nous viendrons t'éveiller, rire de nos souvenirs, parler de toi. Nous voyagerons inlassablement sur ce chemin qui borde l'oubli et nous te ferons vivre. Vivre. Tu n'as pas le choix, c'est ainsi. Tu entends ? Tu peux bouder autant que tu veux, dire que je te traite comme mes élèves. Je ne te donne pas le choix. Je continuerai à t'aimer, malgré tout. C'est tout et ce n'est pas négociable. Mais de toute façon, je te connais. Tout au fond de toi, dans ce cœur rongé par les abysses, tu es soulagé, heureux que nous t'aimions, que nous soyons toujours là. Non ?


A suivre...

samedi 12 avril 2014

Jour 29 / Six

Deux mois après que tu nous aies laissés, tout est revenu. Ton départ n'était plus surréaliste, il devenait solide, se massifiait, marquait ma vie de sa présence.
J'étais furieuse. Tu ne pouvais rien me faire de pire. À cause de toi, je suis terrifiée depuis des années par l'idée que l'on m'abandonne.

Plutôt abandonner qu'être abandonnée, plutôt me faire souffrir qu'être blessée. Je n'arrive pas encore tout à fait à me débarrasser de cette idée.

Et là, là, tu nous as laissés. J'en hurlerais de rage, de colère et de chagrin. J'ai enfin pleuré, des heures durant. J'ai enfin compris que cette mauvaise blague, tu l'avais bien faite. Pourquoi tu n'as pensé qu'à toi ? Pourquoi jamais tu ne t'es mis à notre place ? Pourquoi ta souffrance valait-elle plus que la nôtre ?
Est-ce qu'on ne comptait pas ? Est-ce que je ne comptais pas ? Est-ce que tout ce j'ai fait, est-ce que tout ce que je me suis infligée n'a servi à rien ?
Écrasée, piétinée, chiffonnée, roulée en boule et jetée à la poubelle... je ne suis donc qu'une inutile.

Le chagrin, ombre noire, s'est alors dressé de toute sa hauteur. Il m'a enserré dans ses bras pendant quelques semaines. M'a figé. Glacée. Je suis devenue une poupée, visage sombre et cœur roide.

Il fallait bien accepter que tu étais parti. De toute façon, tu ne nous avais pas vraiment laissé le choix. Admettre que tu avais choisi un ailleurs.

Alors, alors, j'ai prié. Prié de toutes mes forces pour que tu soies enfin heureux. Tu nous avais quitté alors je voulais que, au moins, tu sois en paix maintenant. Libre d'aller où tu veux, de voir tout ce qui te faisait rêver. Fjords, étendues glacées, paysages à l'infini, océans déchaînés, chevaux au galop...

Je ne pouvais être apaisée qu'en pensant que tu étais enfin heureux. Pleurer et accepter. Quand on aime, il n'y a pas de conditions, pas de formulaire restrictif. Je ne pouvais plus rien faire pour toi, si ce n'est te laisser aller.

Les mots sont venus alors. Si je te laissais partir, je ne voulais pas te perdre. Lui, je le vouais aux Enfers, mais toi, tu étais, es une partie de moi. Reste pour toujours avec moi, à mes côtés. Tu ne seras pas oublié ni abandonné, quoi que tu aies pu penser. Là est la mission que je me suis donnée.

Ni oublié, ni abandonné. Juste toi, tel que tu étais. Avec toutes tes imperfections. Ne pas laisser tomber, lui. Non plus. Après tout, sans le vouloir, il a fait de moi celle que je suis. Celle qui sait comment sont les enfants mal aimés, pas aimés. Celle qui sait les ravages que cela peut faire. Je n'ai pas pu le, te sauver. Alors, eux, je ne les laisserai pas tomber, même si je ne peux pas faire grand chose, je serai là. Cela peut suffire, peut-être, parfois...


J'ai quitté le monde des absents, suis retournée vers la vie. J'ai laissé la porte entrouverte, cela dit.


A suivre...

samedi 5 avril 2014

Pause 2 / Dessin du soir


Jour 28 / Cinq

Tu sais ce que j'ai fait quand tu es parti ?

Je regrette toujours qu'il ne soit pas vraiment possible de faire des adieux qui correspondent à la personne qui nous quitte. Déposer du thé sur la tombe d'une personne qui nous apportait toujours de quoi goûter quand nous étions enfants, qui adorait ces moments désuets de discussion autour d'un bon thé et de délicieux biscuits. Pour toi, j'aurais lu pendant des heures des histoires que tu aimais. Comme une berceuse...

J'ai été acheter une bougie que j'ai laissé allumée pendant plusieurs heures. J'ai laissé le Requiem de Mozart résonner dans l'appartement. Je m'en fichais de toutes ces cérémonies conventionnelles. Si j'avais pu, jamais je n'y serais allée.
Je voulais te dire au revoir à ma façon.

La seule chose que tu m'as vraiment apprise à tes dépens est que nous ne pouvons être heureux que si nous nous sommes fidèles. Je dirais même, fidèle à l'enfant que nous étions. Ne jamais se trahir, ne jamais se compromettre, ne jamais jeter son âme. Sans cela, nous nous vidons de nous-mêmes et avançons, lourds, creux, un trou noir au fond de la poitrine. Ce trou noir qui broie toutes les saveurs de la vie, est-ce lui qui t'a emporté ?

Qu'importe si cette fidélité à nous-mêmes fait de nous des êtres imparfaits. Qu'importe tant que nous sommes heureux. Quand as-tu été vraiment heureux pour la dernière fois ? Quand ton âme toute entière a-t-elle vibré de joie ?



A suivre...

samedi 29 mars 2014

Pause / Dessin du soir


Jour 27 / Quatre

Journée interminable. Je le sais avant de l'entamer. Ce sera encore pire que prévu. C'est long, cette attente dans le vestibule de la mort.

C'est la première fois que je te vois depuis que tu es parti. Je ne te reconnais pas. On dirait que tu as 20 ans de plus. Ta famille est là : ils sont bizarres. Mais je ne le remarque pas vraiment. Je me demande juste pourquoi on ne nous file pas le mode d'emploi pour survivre à ce genre de journée. Je suis le mouvement. Je me sens déplacée, à contre temps.
Je me concentre. Ne pas déraper. Je ne comprends toujours pas que je ne te reverrais plus. La journée est surréaliste, les semaines qui suivront aussi. Le temps de comprendre que plus jamais tu ne seras là, que plus jamais je ne n'entendrais ta voix, que plus jamais je ne me mettrais en colère contre toi, que plus jamais tu ne m'intoxiqueras avec ton eau de toilette, que plus jamais, plus jamais, plus jamais... tu ne seras là.

Pour l'instant je te regarde. J'ai l'impression que ton nez n'est pas comme d'habitude. Impossible de m'imaginer que tu dors. Il faudrait que tu aies un livre sur le ventre. Question de réalisme.
Ils ont dû te maquiller. Quelque part, ça m'amuse maintenant. Tu devais être furieux... En même temps, il fallait bien cacher ce qui n'allait pas. C'est déjà une erreur que tu sois là, sur ce lit, entouré par ces bouquets de fleurs ringards à souhait. On n'allait pas en rajouter au spectacle.

La famille arrive. Ils ont ce visage choqué que j'ai dû avoir en te voyant. Ce n'est pas toi. C'est lui. C'est encore plus compliqué de me dire que tu es parti, puisque ce n'est pas toi que je vois. Pas toi, pas toi, pas toi, pas toi...
C'est long.
On n'en finit pas d'être alignés. A quoi ça sert ? On attend.
Je finis par sortir. J'ai l'impression que je vais exploser. Mon corps tressaute. Je déteste voir des gens faire sautiller une de leurs jambes quand ils sont assis. Et me voilà en train de faire ce mouvement que je déteste.

Et ce n'était que le premier acte. Encore deux, encore deux...

Voiture. Église. Et ces gens, tous ces gens. Je ne peux même pas imaginer combien ils sont. Une centaine, peut-être ?

J'en reparlerai avec mon frère plus tard...

Comment tu as pu croire que tu étais seul au monde ? Comment ? Quand tous ces gens étaient là ? Pourquoi tu n'as pas appelé au secours ? Pourquoi tu t'es replié sur toi-même ? Pourquoi ?
Une amie. En larmes. Je m'arrête un instant. Et je me dépêche. Je suis encore à la traîne. Je ne regarde rien, ni personne. Je suis concentrée. Je cherche ma famille du regard. Il faut que je suive le mouvement. Je me connais. Dans ces conditions, je suis tellement perdue que je peux me mettre à chantonner ou à sautiller. Ceux qui ne me connaissent pas m'en voudront. Ne pas trop dénoter. Se fondre dans l'ensemble.
J'ai l'impression d'être l'ingrédient exotique de la recette. Celui qui ne va pas avec. Du riz dans un pot-au-feu. Un concombre dans une tarte aux pommes. Un truc incongru. Le stress me donne envie de blaguer. Mon frère est là. Au moins, avec lui, je suis en sécurité. La vanne est notre alliée.

Ouvrez les vannes du rire. Circulez, messire chagrin, votre triste mine ne nous sied guère. Votre pâle visage, vos yeux incandescents, nous les méprisons, les haïssons. Nous leur rions au nez. Nous sommes la poudre d'escampette. Nous pouffons. Vous toussez. Enrhumez-vous. Laissez nos âmes loin de ces sentiments grippaux. Mais...

Cérémonie.
On est alignés. J'écoute. « Garder les bons souvenirs de lui ». Je dois avoir un rictus, je pense. Quels bons souvenirs ? A ce moment-là, je sais que je n'en ai pas. Je n'ai des images de lui que récentes. Celles de ces derniers mois où il n'était plus qu'une ombre. Une ombre muette, présente dans ses colères, mais absente parmi nous, nous rejetant. Une ombre courbée par des maux que surtout il ne fallait pas soigner. Une ombre qui me choquait, mais inaccessible puisqu'on ne pouvait plus communiquer.
Comment avoir de bons souvenirs ? Combien d'années faut-il traverser pour te retrouver ? Parce que si je cherche, tu finis par réapparaître tel que tu étais. Une lueur de malice dans le regard quand tu nous faisais des blagues. Ce visage d'enfant quand tu regardais la télé et que tu t'amusais. Ton sérieux quand tu lisais. Ta tendresse maladroite envers nous parce que tu avais tellement peur de nous faire du mal. Tes incertitudes, tes idées un peu stupides, nos jeux que tu supportais, nos rares discussions vraiment sérieuses.

Mais, pour l'instant, rien. Ces souvenirs ne reviendront que dans quelques mois. Pour l'instant, tu n'es qu'une succession de mauvais souvenirs, d'angoisses. J'ai peur. Peur parce que je ne peux pas le pleurer.

Je suis contente que la dame qui chante, chante faux. Ça m'amuse. Ça me distrait du chagrin qui m'envahit quand j'entends les gens qui t'aiment parler de toi. Entendre des voix se briser est horrible. La fêlure que tu laisses dans leurs vies, dans nos vies, tu y as pensé ?
Je ne crois pas que ce soit très long. Le plus interminable, reste la file des gens venant te dire au revoir. Je me demande quand ça va s'arrêter. Je n'ai plus la notion du temps, mais j'ai l'impression que cette église est sans fond. Sans cesse, on y puise des personnes. Elles arrivent, s'arrêtent, passent. On dirait qu'elles savent ce qu'il faut faire.

Sortie. Je marche vite, encore. Aucune idée de ce qui se passe. J'entends quelqu'un dire qu'on doit être tes enfants. Oui, c'est nous, suiveurs de cercueil, porteurs de chagrin, passants égarés. Jamais nous n'aurions dû être ici, pas si tôt, pas maintenant.
On t'emmène.
Une cousine que je n'ai pas vu depuis longtemps vient me serrer dans ses bras. Je ne pleure qu'à ce moment-là. Face à un autre chagrin muet. L'absence de mots, c'est ton absence, non ?

Entracte. Repas à la maison. Famille. Moment de détente dans cette journée infâme. On discute.
Mon grand-père et un de mes cousins me font rire. Ils s'entendent tellement bien. On est dehors, il fait beau. Ce soleil réchauffe nos corps, mon corps. Mon cœur est engourdi. Il y neige. Le froid cotonneux l'enserre.

Je veux que cette journée se termine. Je ne veux pas continuer à vivre cela. Je déteste tout ça.

Troisième acte. On reprend la voiture. Trajet d'une quarantaine de minutes.

Attente, encore. Derniers adieux. Je me regarde toujours suivre le mouvement. Que cela finisse, finisse... A entendre toujours ces paroles de réconfort, vides de sens, mécaniques huilées du chagrin commercial, je suis lasse.


A suivre...

samedi 22 mars 2014

Jour 26 / Trois

Reprise du programme. Une journée avec des amis, une journée normale, celle qu'on avait prévu avant les vacances. On raconte ce qu'on fait, on s'amuse, on rigole bien.

Je crois que mon frère rentre aujourd'hui. C'est moi qui lui ai annoncé la nouvelle hier. Il avait l'air si heureux quand j'ai décroché. Il était au travail. Il m'appelait pendant sa pause de midi.

« Comment ça va ? »

Comment une question aussi bête qu'on pose presque tous les jours, comment cette phrase aussi bête peut-elle être aussi pénible à entendre ?
On ne peut pas mentir. On ne peut que dire que non, ça ne va pas. Et dire, dire la suite, les phrases qu'on va apprendre à répéter petit à petit...
Cette respiration coupée, le chagrin dans la voix.
Je suis inquiète.
Il doit conduire pour rentrer chez lui. Il a plusieurs heures de route à parcourir pour revenir à la maison. Je lui demande de me tenir au courant de ses déplacements. Je ne veux pas que mon petit frère prenne des risques. Une seule mauvaise nouvelle suffit largement.
On se verra demain. Je vais enfin voir maman et ma sœur. La journée des adieux...

Mais pour l'instant, je n'y pense pas. Je me détends. Je reprends des forces. Je m'amuse. Il faut un peu de joie dans le chagrin pour ne pas se laisser étouffer. Il sera bien temps de pleurer plus tard.

Je crois, je ne sais plus, je crois que je préviens ce jour-là des amis. Chercher la façon de le dire, moi qui déteste tourner en rond. L'écrire est déjà pénible. Quand pourrais-je le dire ? Quand ces mots franchiront-ils mes lèvres ?


Il est mort...




A suivre...

samedi 15 mars 2014

Jour 25 / Deux

Où es-tu ?
Pourquoi ?
Qu'est-ce que je suis sensée faire ?
Qu'est-ce que on est sensés faire ?

Tout est décousu. Mes idées ne sont que filaments. Je suis toujours en train de les tisser, même maintenant, tant de mois après.
Quand l'ombre s'approche trop, ces doigts glacés tendus vers moi, j'essaye d'effacer ce qui s'est passé. Mes pas s'accélèrent. Je m'essouffle sur ce chemin escarpé. Je cours sans avancer... Je crois avancer et reviens au point de départ. Retrouvent les idées, les souvenirs, les sentiments que j'avais entreposés dans un coin, laissés à l'abandon car je ne pouvais plus les porter. Mais je ne peux pas les laisser, te laisser.
Tout se dirige vers moi, figée, obligée de les porter.

Tu crois que je pourrais y arriver ? Tu crois que je pourrais tout te dire ?

J'ai longtemps cru que j'étais responsable de ce qui t'arrivait. J'ai porté ce poids sur mes épaules durant des années. Des années à me dire que si j'étais mieux, plus gentille, plus... à me dire que celle que j'étais ne valait pas grand chose, car après tout, si toi tu allais mal, c'est bien parce que je n'étais pas celle que tu attendais.

Ces longues années de solitude parce que je ne pouvais pas parler de toi. J'avais peur du monde qui m'entourait. J'étais tellement fragile et je croyais être faible. Je me disais que si, toi, tu ne m'acceptais pas, toi qui aurais dû m'accepter inconditionnellement, alors personne ne le pourrait.
Alors, j'ai sombré. Incapable de bouger, incapable de faire quoi que ce soit. Naufragée dans mon esprit.
Je ne sais pas trop comment, je me suis retrouvée entre deux eaux. Équilibre si précaire. Je savais que je devais être prudente. J'avais enfin compris que ce n'était pas de ma faute, tout ça. J'avais trouvé des amis qui m'aimaient telle que j'étais, aussi insupportable que je puisse être. Alors, alors... j'ai pu recommencer à vivre. Pour moi...

Je ne voulais pas devenir lui, toi. Je ne voulais pas que mes fragilités deviennent mes faiblesses. Je voulais, enfin, être libre. Alors, je t'ai sûrement blessé parce que je t'ai rejeté, aussi fort que je le pouvais. Puis je t'ai toléré, sans plus.
Tu étais déjà lui, la plupart du temps. Celui que j'aimais était à moitié effacé, absent trop souvent. Je ne pouvais plus te faire confiance. Il me fallait me méfier de toi, me protéger de toi, de ton chagrin qui m'atteignait tellement qu'il en devenait le mien aussitôt.

Je me suis persuadée que tu n'existais plus vraiment, qu'il n'y avait que lui. Continuer à vivre, quoi qu'il m'en coûte. Espérer, quand même, te revoir...


L'espoir souffle à mon oreille
J'attends que tu reviennes

Cendre de rêve



A suivre...