dimanche 11 janvier 2015

Jour 46 / ...

Les mots sont mon royaume, mon refuge, le seul territoire où je ne suis jamais étrangère ni perdue, mais aujourd'hui, ils me font défaut.

Et puis...

Tout au fond de la boîte, il est étendu, agitant faiblement ses ailes. Et elle tend ses mains ensanglantées pour le recueillir.
Elle est parcourue de frissons, sourit aux rires qui résonnent, et pleure ses enfants perdus. Elle sourit à ceux qui l'aiment et pleure ceux qui l'oublient.
Elle le recueille et lui murmure doucement à l'oreille qu'il va vivre encore, encore, toujours. Car telle est sa nature...

Au fond de la boîte, l'espoir palpite doucement, vacille, prêt à s'éteindre sous les coups de ceux qui voudraient faire le noir autour de nous. Il vacille, vacille encore.

Seule notre humanité peut le sauver. Ce qui fait de nous des êtres doués de raison. Elle nous recueille et nous replante là où nous devons être. Loin, bien loin, de ce qui la nie. Loin, bien loin, des cris faisant fuir l'espoir.
Elle nous recueille et tend ses mains vers ceux qui voudraient la fuir. Vers ceux qui ne se savent pas perdus.

Au fond de la boîte, il palpite toujours. Et elle chante doucement, priant pour qu'il prenne à nouveau son envol, ranime ses enfants, refasse de tous des frères humains. Humains… pour toujours.

Au fond de la boîte, il vit, fragile, vulnérable. Il vit. Il vit. Il vit.

Pour toujours.

Humain.

vendredi 2 janvier 2015

Jour 45 / Hiver 1

HIVER




La première lève le nez de sa tasse, sourit. La pose délicatement sur la table. Ce lent mouvement vers l'avant, bras tendu vers la table, réveille l'attention des autres.Tout aussi tranquillement, elle s'enveloppe de son gilet, se cale dans le fauteuil, négligemment se recoiffe. Une à une, les mèches trouvent leur place. Le soleil lentement illumine le plancher. Le bois craque.

« Je commence ?
Après tout, nous sommes venues parler de lui. Non ? »

Lent acquiescement. L'une d'entre elles se lève, relance la bouilloire. Quelques instants plus tard, de l'eau chaude conservée dans un thermos, des sachets de thé et des biscuits ont rejoint la table. Des bûches brûlent dans l'âtre.

Doucement, elle inspire, soupire, se lance...

« Moi, je l'ai toujours vu comme une étendue glacée… dangereuse. Prête à m'engloutir dans son enfer blanc. 
Tu vois ces champs recouverts de neige en hiver ? Avant que les tracteurs passent et leur rendent leur caractère humain… Mmmm… Oui, ils sont beaux. Mais moi, je les ai toujours trouvé menaçants. C'est comme si la nature se dressait devant nous et nous rappelait sa puissance. On dirait que le monde dans lequel nous vivions n'est plus nôtre…
Tout devient différent. Tout...
Et bien, lui, je le vois comme ça. Une étendue recouverte de neige et de glace. Belle mais mortelle. Prête à nous dévorer de son froid ardent, prête à nous laisser geler et mourir sur place… Parcourue par des vents glacés qui nous brisent...
Et parfois, quand le soleil s'y lève, on peut espérer qu'il change et nous accueille… Mais ce n'est qu'un faux-semblant. Il est toujours une menace…
Oui ?

Je maintiens… une menace. Prête à nous geler le corps et l'âme. » 

Un champ de glace le recouvre. Le vent souffle et délicatement fait jouer les flocons de neige. Ils dansent et se reposent, effaçant progressivement mes empreintes dans le sol.
La terre crisse sous mes pas. Pas un bruit, seule cette lente entrée dans la neige, sourde, heurtée. Ma respiration siffle un peu. Des nuées de brume apparaissent. Arabesques exotiques. Elles disparaissent doucement. Mes doigts se raidissent et je finis par ne plus les sentir. Mon nez gèle. Mes orteils se recroquevillent, cherchant un reste de chaleur.
Cette étendue blanche m'éblouit et me grise. Je voudrais pouvoir crier, mais ma voix reste coincée. Bloquée par ce froid qui environne tout.
J'avance pas à pas, avec précaution. Éviter par tous les moyens de glisser, de perdre une fois de plus mon équilibre.

La nuit tombe petit à petit. Le soleil se couche. Il fait de plus en plus froid et je reste là, seule, au milieu de cette étendue glacée.