Le monde que tu as fuis, celui dans
lequel je vis aujourd'hui auraient sans doute pu se rencontrer. Je ne
sais si tu l'as jamais vu…
Quand je ferme les yeux, il est
là...
La musique résonne. L'air y frémit,
vibre. On avance pas à pas, dans un glissement furtif, les mains
effleurant les herbes qui y poussent. Ce n'est jamais qu'un jardin
aux dimensions de notre âme.
Mille senteurs le parfument. Du sol
chaud battu par la pluie, de l'herbe tondue et du foin fraîchement
taillé, du pain en train de cuire, de fleurs en pagaille, de l'iode
de la mer, du bois coupé, du parfum d'un amour…
Mille sensations le parcourent. Le
moelleux d'une couverture, la fraîcheur de la pluie sur le visage,
la douce pression d'une main, la chaleur d'un feu de bois, les
picotements d'une pelouse un peu sèche, la douceur d'un pelage de
chat…
Mille bruits y résonnent. Le chant
des oiseaux, le bruissement des feuilles, le lent va-et-vient des
vagues, les rires de ceux que nous aimons, quelques notes de piano…
Tout nous y enveloppe de douceur.
Ce n'est pour autant un monde
serein. Le tonnerre y gronde parfois. Le vent vient en frapper
violemment les parois. Des cris stridents se font entendre, suivis
d'un silence lourd, menaçant. L'effroi me saisit dans son armure de
douleurs. L'ombre noire qui t'a happé me poursuit encore, désireuse
de saisir une nouvelle proie.
Pourtant, elle perd du terrain,
s'efface de plus en plus et ne parvient plus à résister. De simples
notes de kalimba la réduisent à néant. Ses griffes se rétractent,
lâchent leur proie. Elle gémit, de noire devient grisâtre, de
géante devient naine, de monstrueuse devient négligeable… Elle
sait qu'un jour elle ne sera plus.
Et mon monde se déploie. Celui où
tu aurais pu vivre si tu en avais eu la force. Ce monde de tous les
possibles, de tous les imaginaires, où il fait bon rire et vivre.
Une guitare fait entendre ses
accords. Un air de jazz… L'improvisation n'est pas loin. La vie
n'est pas loin.
Allons-y.