samedi 30 août 2014

Jour 41 / Aujourd'hui / Seize

Le monde que tu as fuis, celui dans lequel je vis aujourd'hui auraient sans doute pu se rencontrer. Je ne sais si tu l'as jamais vu…


Quand je ferme les yeux, il est là...


La musique résonne. L'air y frémit, vibre. On avance pas à pas, dans un glissement furtif, les mains effleurant les herbes qui y poussent. Ce n'est jamais qu'un jardin aux dimensions de notre âme.
Mille senteurs le parfument. Du sol chaud battu par la pluie, de l'herbe tondue et du foin fraîchement taillé, du pain en train de cuire, de fleurs en pagaille, de l'iode de la mer, du bois coupé, du parfum d'un amour…
Mille sensations le parcourent. Le moelleux d'une couverture, la fraîcheur de la pluie sur le visage, la douce pression d'une main, la chaleur d'un feu de bois, les picotements d'une pelouse un peu sèche, la douceur d'un pelage de chat…
Mille bruits y résonnent. Le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, le lent va-et-vient des vagues, les rires de ceux que nous aimons, quelques notes de piano…
Tout nous y enveloppe de douceur.
Ce n'est pour autant un monde serein. Le tonnerre y gronde parfois. Le vent vient en frapper violemment les parois. Des cris stridents se font entendre, suivis d'un silence lourd, menaçant. L'effroi me saisit dans son armure de douleurs. L'ombre noire qui t'a happé me poursuit encore, désireuse de saisir une nouvelle proie.
Pourtant, elle perd du terrain, s'efface de plus en plus et ne parvient plus à résister. De simples notes de kalimba la réduisent à néant. Ses griffes se rétractent, lâchent leur proie. Elle gémit, de noire devient grisâtre, de géante devient naine, de monstrueuse devient négligeable… Elle sait qu'un jour elle ne sera plus.


Et mon monde se déploie. Celui où tu aurais pu vivre si tu en avais eu la force. Ce monde de tous les possibles, de tous les imaginaires, où il fait bon rire et vivre.
Une guitare fait entendre ses accords. Un air de jazz… L'improvisation n'est pas loin. La vie n'est pas loin.


Allons-y.



samedi 23 août 2014

Jour 40 / Quinze

Les années ont filé. Incertaines, bancales.
Celle de 20 ans a dû faire un choix. Elle ou lui. Pardonner ou non. Se pardonner ou non.
Je ne sais pas vraiment ce que tu es devenu pendant ces années où je ne te prêtais plus qu'une attention distraite. Je sauvais ma vie, en rassemblait les morceaux épars, reconstruisait un ensemble à peu près cohérent. Elle disparaissait. Je voulais à tout prix vaincre celle qui n'était pas moi, celle qui me rongeait et m'empêchait de vivre. Je voulais à nouveau avoir accès à tout ce que je suis, à toute la beauté du monde. A tout, tout...
Pourtant, Elle réapparaissait, réapparaît encore. Par moments. Elle redevient cette ombre qui m'a hanté pendant des mois. Il est tellement plus facile de lui céder que de l'affronter. Tellement plus facile de se laisser détruire par des mots qu'on a entendu à maintes reprises. Tellement plus facile de croire que personne ne nous attend. Tellement plus facile de ne plus vouloir rien ressentir. Tellement plus facile de rejeter ceux qui nous entourent et nous aiment.
J'ai compris ce que tu vivais, que Lui n'était après tout qu'un symptôme, une apparition, l'incarnation monstrueuse de ta souffrance. Si ce monstre était bien là, présent dans sa cruauté, ses cris, ses colères, c'est que tu ne parvenais plus à te battre. J'ai pu alors te pardonner. Pas à Lui, mais à toi, le papa que j'embêtais petite, celui qui me réconfortais, celui qui, s'il n'était pas très doué comme parent, m'aimait.
Se battre est douloureux. Scruter la noirceur qui nous habite, en prendre la mesure et refuser de lui céder. Se débattre de toutes ses forces. Nager à contre-courant. Courir dans le noir. Chuter et se relever encore.

Pour faire disparaître Elle, je dois sans cesse retrouver le cœur qui est mien. Faire vibrer mon âme, encore et encore. Trouver les notes qui sont miennes et dérouler la partition...

samedi 2 août 2014

Jour 39 / Quatorze

Dis...
Tu sais quand tout a commencé à s'obscurcir ? Quand cette masse informe, sombre est entrée dans nos vies ?
Quand s'est-elle glissé insidieusement, glaçant nos âmes ?
Elle est d'abord entrée en toi, creusant son sillon dans ton esprit, ton cœur. Puis, elle a lentement labouré le champ de tes idées, lançant ses griffes de plus en plus loin, plantant ses serres au plus profond de ta chair. Elle a lentement étouffé ce qui était toi, t'a privé d'oxygène, t'a lentement absorbé. Et a laissé à ta place ce lui, celui qui nous était inconnu et avec qui nous avons dû vivre tant d'années.
Tu es devenu sa marionnette, lente et glacée. Tu es devenu ombre toi-même. Lui est apparu et nous a terrifiés.
Tu existais encore par moments. Au travers de tes mots, de tes rires, de ta présence maladroite, tu restais le papa qui avait bercé mon enfance. Mais, tu n'étais plus présent que par éclipses, de plus en plus rares, de plus en plus courtes. Te voir ainsi me faisait souffrir. Je devenais toi, étais malade moi-aussi. L'ombre m'enserrait, m'étouffait. J'avais peur...
Peur de ce lui, de cet homme qui cachait ce petit garçon hurlant son chagrin, son besoin d'être aimé. Peur de cette ombre de colère, d'angoisse qui ne parvenait plus à s'exprimer.
Il a pris toute la place à la maison. Nous avons tous vécus dans la peur de le voir se manifester, dans le constat de notre échec année après année, de la lente décomposition des liens qui nous unissaient. Nos attaches ne rompaient jamais complètement. Nous restions présents malgré tout, assistant impuissants à cette montée en puissance du malheur.
Lui incarnait tes aspects les plus sombres. La lumière a quitté tes yeux, ton visage, ton corps. Tu te négligeais, devenais un fantôme parmi nous. Lui prenait de plus en plus de forces, se nourrissant de ton chagrin.
Il a absorbé jusqu'à la dernière goutte de ta vie, a guidé tes pas jusqu'au dernier instant. Il t'a broyé encore et encore, ne te laissant aucun répit. Son emprise ne se desserrait que pour mieux te faire sentir sa force et te détruire à nouveau. Ce monstre n'a jamais cessé de te murmurer que tu ne serais jamais digne d'être aimé, toi, l'enfant que l'on avait délaissé. Et c'est ce murmure qui t'a tué...
Les mots peuvent nous sauver, le sais-tu ? Pourquoi, toi, a-t-il fallu que tu ne croies que ceux qui te faisaient du mal ? Pourquoi ?
Lui est parti, enfin... T'a-t-il laissé en paix ?



A suivre...