samedi 2 août 2014

Jour 39 / Quatorze

Dis...
Tu sais quand tout a commencé à s'obscurcir ? Quand cette masse informe, sombre est entrée dans nos vies ?
Quand s'est-elle glissé insidieusement, glaçant nos âmes ?
Elle est d'abord entrée en toi, creusant son sillon dans ton esprit, ton cœur. Puis, elle a lentement labouré le champ de tes idées, lançant ses griffes de plus en plus loin, plantant ses serres au plus profond de ta chair. Elle a lentement étouffé ce qui était toi, t'a privé d'oxygène, t'a lentement absorbé. Et a laissé à ta place ce lui, celui qui nous était inconnu et avec qui nous avons dû vivre tant d'années.
Tu es devenu sa marionnette, lente et glacée. Tu es devenu ombre toi-même. Lui est apparu et nous a terrifiés.
Tu existais encore par moments. Au travers de tes mots, de tes rires, de ta présence maladroite, tu restais le papa qui avait bercé mon enfance. Mais, tu n'étais plus présent que par éclipses, de plus en plus rares, de plus en plus courtes. Te voir ainsi me faisait souffrir. Je devenais toi, étais malade moi-aussi. L'ombre m'enserrait, m'étouffait. J'avais peur...
Peur de ce lui, de cet homme qui cachait ce petit garçon hurlant son chagrin, son besoin d'être aimé. Peur de cette ombre de colère, d'angoisse qui ne parvenait plus à s'exprimer.
Il a pris toute la place à la maison. Nous avons tous vécus dans la peur de le voir se manifester, dans le constat de notre échec année après année, de la lente décomposition des liens qui nous unissaient. Nos attaches ne rompaient jamais complètement. Nous restions présents malgré tout, assistant impuissants à cette montée en puissance du malheur.
Lui incarnait tes aspects les plus sombres. La lumière a quitté tes yeux, ton visage, ton corps. Tu te négligeais, devenais un fantôme parmi nous. Lui prenait de plus en plus de forces, se nourrissant de ton chagrin.
Il a absorbé jusqu'à la dernière goutte de ta vie, a guidé tes pas jusqu'au dernier instant. Il t'a broyé encore et encore, ne te laissant aucun répit. Son emprise ne se desserrait que pour mieux te faire sentir sa force et te détruire à nouveau. Ce monstre n'a jamais cessé de te murmurer que tu ne serais jamais digne d'être aimé, toi, l'enfant que l'on avait délaissé. Et c'est ce murmure qui t'a tué...
Les mots peuvent nous sauver, le sais-tu ? Pourquoi, toi, a-t-il fallu que tu ne croies que ceux qui te faisaient du mal ? Pourquoi ?
Lui est parti, enfin... T'a-t-il laissé en paix ?



A suivre...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire