lundi 30 juin 2014

Jour 34 / Neuf et Dix

9

Mes plus vieux souvenirs sont flous, épars et clairsemés.

Je regarde mon arrière-grand-mère se coiffer, préparer son chignon. Elle me paraît grande, elle qui ne devait pas mesurer plus d'1 mètre 50. Je joue avec elle. Je suis le chien des voisins (qui n'en ont pas d'ailleurs) qui vient agacer les poules de ma mémé (qu'elle n'a pas non plus). Je circule à quatre pattes dans la petite pièce, passe sous la table, entre les chaises.

Je suis chez ma grand-mère maternelle. Je regarde Scoubidou tôt le matin. Je trouve ce dessin animé hilarant. Je m'amuse autour de la maison. A l'époque, du goudron l'entoure. Un jour, pour embêter mamie, je lui pique une casserole et très fière de mon tour, cours autour de la maison en riant. Fin de la fête. Je tombe, me blesse le genou. Je garde encore aujourd'hui la cicatrice de mon vol plané. Papy joue aussi avec moi. Une fois, chez mes parents, on joue à la balle tous les deux. Je crie. Notre chien, persuadé que mon grand-père me fait du mal, le mord. Rien de grave.

Chez ma grand-mère paternelle, ce sont comptines, activités dans le jardin. J'aime marcher pieds nus dans la terre fraîche. Ce contact me met en joie. Je me lave ensuite les pieds dans un seau d'eau. Seau qui se renverse un jour, quand je m'assois sur son bord.

Entrée en moyenne section. Je suis dépitée. Ce n'est pas cette année encore qu'on va apprendre à lire, que je vais apprendre à lire.

Grande section. Un garçon dans ma classe n'arrive pas à compter jusqu'à 10. Ça m'agace. Je me vois, le temps d'une récréation, essayer de le lui apprendre.

Je dois avoir 8 ou 9 ans. Je suis dans les vergers qui sont de l'autre côté de la route par rapport à notre maison. On va ramasser des pommes. Maman, papa, mon frère sont là. Peut-être mamie aussi. On doit être en automne. Il ne fait pas très beau, mais ce verger sent bon. Il est tout en pente. On peut le dévaler à toute allure. On en profite aussi pour ramasser des châtaignes qu'on mangera à la maison.

Hiver. Papa a apporté du houx pour décorer la maison, mais toutes les petites baies rouges sont tombées. Maman prend du coton et de l'éosine. Doigts rouges et prothèses de baies. À Pâques, elle fabrique des nids avec la paille de la ferme pour y mettre nos chocolats.

Quand je lis, je n'entends plus rien. On peut m'appeler deux, trois fois avant que j'entende qui que ce soit. J'emmène des livres partout. Lis à un mariage alors que les autres enfants autour de moi jouent. Lis en cachette, jusqu'à 23 heures, minuit. Ô douceur de la clandestinité.
L'école, mon autre territoire, occupe mon esprit. On y apprend tant de choses intéressantes. Les vacances sont vraiment une perte de temps. Mon cerveau a soif. Éponge, il absorbe tout, sans distinction.

De la maison de mes grands-parents à l'école, il y a 5 minutes de marche à pied. 5 minutes de rêveries. On passe sous un chêne, dont une des branches n'en finit pas de pousser et de surplomber le chemin. J'adore les arbres.

Mes plus vieux souvenirs sont flous, épars et clairsemés.

Mais ils ont en eux la douceur de l'enfance,
du temps des rires et des jeux,
des créations que les adultes font pour nous.
Douceur du temps passé.

La petite fille que j'étais m'apparaît, bouclettes au vent, sourire au visage, rêveuse, un peu ailleurs, sûre d'elle, confiante.


10

J'ai mis du temps à revenir sur ces pages. Le temps de rassembler mes idées, de retrouver mon cœur, le cœur de cette histoire, de notre histoire. J'aimerais pouvoir m'installer et écrire, écrire, et écrire encore, ce qui était prévu.
Mais...
Les choses ne fonctionnent pas ainsi. Je ne choisis pas. Les mots me quittent parfois. Il me faut alors attendre leur retour. Ce n'est pas moi qui décide. Pas pour cela.

Mais maintenant, je suis là. Présente, vraiment présente. Prête à retracer mon parcours, notre route.

Tu ne m'as pas trop attendu ?

Que pouvais-je bien faire ?

N'est-ce pas ?

Je réfléchissais. Encore. Perdue dans mes idées, mes souvenirs, mes désirs. J'attendais que le fil décousu de mes pensées se retisse, se noue, et me dessine le chemin que je devais suivre.
J'ai lu, rêvassé, écouté de la musique, regardé des films, ri, marché dans les rues tard le soir, nourri mon âme de ce que j'aime, cherché la chaleur que donne l'amour d'une famille. Et le chemin m'est apparu, bancal, imparfait, confus. Mien en somme.

Marchons un peu, veux-tu ? Tiens-moi par la main. Porte-moi sur tes épaules comme quand j'étais petite.


Voyons le monde tel qu'il est. Voyons le chemin parcouru...

vendredi 20 juin 2014

Jour 33 / Huit

J'ai grandi à la campagne, dans un petit village qui comptait plus de vaches que d'habitants.

Village lové au creux d'un virage. Autour, collines et champs, cultures et senteurs, chemins, routes, buissons et arbres. On peut le traverser sans s'en rendre compte. Un village parmi tant d'autres, avec ses familles, ses histoires, ses racontars.

Nous habitions à l'une des extrémités de ce village en virage. Nous avons appris rapidement à traverser la route avec prudence. Nous avons goûté toutes les joies d'une enfance à la campagne. J'ai grandi, là, avec l'envie de partir un jour. Partir pour découvrir des horizons plus vastes, puisque, armée de mon enfance, je ne risquais rien.

Notre maison était suffisamment grande pour que nous puissions jouer sans nous soucier de déranger qui que ce soit. Le jardin, la cour et la ferme composaient un magnifique terrain de jeu. Je ne sais plus s'il me paraissait vaste. Néanmoins, ce tout représentait un territoire à conquérir et envahir. Il fallait de l'audace pour faire le tour de la ferme à vélo, rouler sur les pierres, franchir les obstacles. Il fallait du courage pour côtoyer les vaches, veaux, taurillons. Dans ma tête de petite fille, le monde que je voyais se prêtait à toutes les rêveries possibles. Finalement, je n'ai de toutes ces années que des souvenirs épars. Les jours devaient s'écouler les uns après les autres, semblables, frères.

Peu de visages le peuplent. Mes grands-mères, mon grand-père, mon arrière-grand-mère, ma mère, mon père, mon frère, ma sœur. Mon monde était restreint, mais peuplé des personnages que je croisais dans mes lectures. Ces-derniers avaient bien plus de vie que les gens autour de moi. Le territoire intérieur que je me construisais avait certes un lien avec l'extérieur, mais le surpassait en tout. Lire, c'était vivre. Et c'était Tout.

La seule chose qui pouvait me mener au-delà s'incarnait dans l'école. Apprendre, comprendre, savoir, expliquer étaient une source inépuisable de bonheur et de satisfaction.


Aller à l'école, lire, rêver, jouer...