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Mes
plus vieux souvenirs sont flous, épars et clairsemés.
Je
regarde mon arrière-grand-mère se coiffer, préparer son chignon.
Elle me paraît grande, elle qui ne devait pas mesurer plus d'1 mètre
50. Je joue avec elle. Je suis le chien des voisins (qui n'en ont pas
d'ailleurs) qui vient agacer les poules de ma mémé (qu'elle n'a pas
non plus). Je circule à quatre pattes dans la petite pièce, passe
sous la table, entre les chaises.
Je
suis chez ma grand-mère maternelle. Je regarde Scoubidou tôt
le matin. Je trouve ce dessin animé hilarant. Je m'amuse autour de
la maison. A l'époque, du goudron l'entoure. Un jour, pour embêter
mamie, je lui pique une casserole et très fière de mon tour, cours
autour de la maison en riant. Fin de la fête. Je tombe, me blesse le
genou. Je garde encore aujourd'hui la cicatrice de mon vol plané.
Papy joue aussi avec moi. Une fois, chez mes parents, on joue à la
balle tous les deux. Je crie. Notre chien, persuadé que mon
grand-père me fait du mal, le mord. Rien de grave.
Chez
ma grand-mère paternelle, ce sont comptines, activités dans le
jardin. J'aime marcher pieds nus dans la terre fraîche. Ce contact
me met en joie. Je me lave ensuite les pieds dans un seau d'eau. Seau
qui se renverse un jour, quand je m'assois sur son bord.
Entrée
en moyenne section. Je suis dépitée. Ce n'est pas cette année
encore qu'on va apprendre à lire, que je vais apprendre à lire.
Grande
section. Un garçon dans ma classe n'arrive pas à compter jusqu'à
10. Ça m'agace. Je me vois, le temps d'une récréation, essayer de
le lui apprendre.
Je
dois avoir 8 ou 9 ans. Je suis dans les vergers qui sont de l'autre
côté de la route par rapport à notre maison. On va ramasser des
pommes. Maman, papa, mon frère sont là. Peut-être mamie aussi. On
doit être en automne. Il ne fait pas très beau, mais ce verger sent
bon. Il est tout en pente. On peut le dévaler à toute allure. On en
profite aussi pour ramasser des châtaignes qu'on mangera à la
maison.
Hiver.
Papa a apporté du houx pour décorer la maison, mais toutes les
petites baies rouges sont tombées. Maman prend du coton et de
l'éosine. Doigts rouges et prothèses de baies. À Pâques, elle
fabrique des nids avec la paille de la ferme pour y mettre nos
chocolats.
Quand
je lis, je n'entends plus rien. On peut m'appeler deux, trois fois
avant que j'entende qui que ce soit. J'emmène des livres partout.
Lis à un mariage alors que les autres enfants autour de moi jouent.
Lis en cachette, jusqu'à 23 heures, minuit. Ô douceur de la
clandestinité.
L'école,
mon autre territoire, occupe mon esprit. On y apprend tant de choses
intéressantes. Les vacances sont vraiment une perte de temps. Mon
cerveau a soif. Éponge, il absorbe tout, sans distinction.
De
la maison de mes grands-parents à l'école, il y a 5 minutes de
marche à pied. 5 minutes de rêveries. On passe sous un chêne,
dont une des branches n'en finit pas de pousser et de surplomber le
chemin. J'adore les arbres.
Mes
plus vieux souvenirs sont flous, épars et clairsemés.
Mais
ils ont en eux la douceur de l'enfance,
du
temps des rires et des jeux,
des
créations que les adultes font pour nous.
Douceur
du temps passé.
La
petite fille que j'étais m'apparaît, bouclettes au vent, sourire au
visage, rêveuse, un peu ailleurs, sûre d'elle, confiante.
10
J'ai
mis du temps à revenir sur ces pages. Le temps de rassembler mes
idées, de retrouver mon cœur, le cœur de cette histoire, de notre
histoire. J'aimerais pouvoir m'installer et écrire, écrire, et
écrire encore, ce qui était prévu.
Mais...
Les
choses ne fonctionnent pas ainsi. Je ne choisis pas. Les mots me
quittent parfois. Il me faut alors attendre leur retour. Ce n'est pas
moi qui décide. Pas pour cela.
Mais
maintenant, je suis là. Présente, vraiment présente. Prête à
retracer mon parcours, notre route.
Tu
ne m'as pas trop attendu ?
Que
pouvais-je bien faire ?
N'est-ce
pas ?
Je
réfléchissais. Encore. Perdue dans mes idées, mes souvenirs, mes
désirs. J'attendais que le fil décousu de mes pensées se retisse,
se noue, et me dessine le chemin que je devais suivre.
J'ai
lu, rêvassé, écouté de la musique, regardé des films, ri, marché
dans les rues tard le soir, nourri mon âme de ce que j'aime, cherché
la chaleur que donne l'amour d'une famille. Et le chemin m'est
apparu, bancal, imparfait, confus. Mien en somme.
Marchons
un peu, veux-tu ? Tiens-moi par la main. Porte-moi sur tes
épaules comme quand j'étais petite.
Voyons
le monde tel qu'il est. Voyons le chemin parcouru...