Deux
mois après que tu nous aies laissés, tout est revenu. Ton départ
n'était plus surréaliste, il devenait solide, se massifiait,
marquait ma vie de sa présence.
J'étais
furieuse. Tu ne pouvais rien me faire de pire. À cause de toi, je
suis terrifiée depuis des années par l'idée que l'on m'abandonne.
Plutôt
abandonner qu'être abandonnée, plutôt me faire souffrir qu'être
blessée. Je n'arrive pas encore tout à fait à me débarrasser de
cette idée.
Et
là, là, tu nous as laissés. J'en hurlerais de rage, de colère et
de chagrin. J'ai enfin pleuré, des heures durant. J'ai enfin compris
que cette mauvaise blague, tu l'avais bien faite. Pourquoi tu n'as
pensé qu'à toi ? Pourquoi jamais tu ne t'es mis à notre
place ? Pourquoi ta souffrance valait-elle plus que la nôtre ?
Est-ce
qu'on ne comptait pas ? Est-ce que je ne comptais pas ?
Est-ce que tout ce j'ai fait, est-ce que tout ce que je me suis
infligée n'a servi à rien ?
Écrasée,
piétinée, chiffonnée, roulée en boule et jetée à la poubelle...
je ne suis donc qu'une inutile.
Le
chagrin, ombre noire, s'est alors dressé de toute sa hauteur. Il m'a
enserré dans ses bras pendant quelques semaines. M'a figé. Glacée.
Je suis devenue une poupée, visage sombre et cœur roide.
Il
fallait bien accepter que tu étais parti. De toute façon, tu ne
nous avais pas vraiment laissé le choix. Admettre que tu avais
choisi un ailleurs.
Alors,
alors, j'ai prié. Prié de toutes mes forces pour que tu soies enfin
heureux. Tu nous avais quitté alors je voulais que, au moins, tu
sois en paix maintenant. Libre d'aller où tu veux, de voir tout ce
qui te faisait rêver. Fjords, étendues glacées, paysages à
l'infini, océans déchaînés, chevaux au galop...
Je
ne pouvais être apaisée qu'en pensant que tu étais enfin heureux.
Pleurer et accepter. Quand on aime, il n'y a pas de conditions, pas
de formulaire restrictif. Je ne pouvais plus rien faire pour toi, si
ce n'est te laisser aller.
Les
mots sont venus alors. Si je te laissais partir, je ne voulais pas te
perdre. Lui, je le vouais aux Enfers, mais toi, tu étais, es une
partie de moi. Reste pour toujours avec moi, à mes côtés. Tu ne
seras pas oublié ni abandonné, quoi que tu aies pu penser. Là est
la mission que je me suis donnée.
Ni
oublié, ni abandonné. Juste toi, tel que tu étais. Avec toutes tes
imperfections. Ne pas laisser tomber, lui. Non plus. Après tout,
sans le vouloir, il a fait de moi celle que je suis. Celle qui sait
comment sont les enfants mal aimés, pas aimés. Celle qui sait les
ravages que cela peut faire. Je n'ai pas pu le, te sauver. Alors,
eux, je ne les laisserai pas tomber, même si je ne peux pas faire
grand chose, je serai là. Cela peut suffire, peut-être, parfois...
J'ai
quitté le monde des absents, suis retournée vers la vie. J'ai
laissé la porte entrouverte, cela dit.
A suivre...
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