AUTOMNE
Elle,
elle semble ailleurs, les yeux dans le vague, perdue dans ses
pensées. Elle n'en finit plus de faire tourner son mug entre ses
mains, cherchant à réchauffer ses doigts. Elle joue des épaules,
tente de maintenir la couverture sur celles-ci.
Elle
regarde par la fenêtre, sourit.
« Je
ne sais pas trop. Je ne le vois pas tout à fait comme ça. »
D'un
mouvement brusque, elle ébouriffe ses cheveux puis se niche à
nouveau entre les tissus chauds de la couverture. Une autre lui prend
le mug des mains, le remplit d'eau brûlante, lui demande quel thé
elle souhaite prendre.
Elle
tend ses mains, récupère le récipient et doucement souffle sur la
surface de l'eau dans laquelle se balance le sachet de mousseline.
Quelques rides apparaissent. Elle souffle encore un peu, sourit.
« Moi,
je l'ai toujours vu comme une étendue couverte d'arbres, de branches
entrelacées desquelles tombent des feuilles…
Une
étendue qui nous est étrangère mais dans laquelle on peut
respirer… Vous voyez ?
C'est
tellement vaste une forêt. C'est ce qui en fait le lieu de tous les
possibles. Celui où tu peux te perdre, te faire dévorer, rencontrer
des monstres, mais aussi celui où tu peux renaître, apprendre à
vivre, aimer.
C'est
un lieu plein d'âmes, parsemé de petits bruits, de senteurs. Et si
tu ouvres suffisamment les yeux, si tu écoutes avec attention, alors
tu peux en sentir battre le pouls. À rythme lent, mais constant…
rassurant…
Tu
sens le sol battre sous tes pieds, t'encourager à avancer, à te
perdre…
C'est
ce que j'aime finalement. Ne pas savoir ce qui va arriver, mais me
lancer. Et tel que je le vois, il peut tout aussi bien nous détruire
que nous faire vivre. Non ? »
Une
forêt aux reflets mordorés… des feuilles en train de pourrir sous
mes pieds… Cette odeur d'humus qui monte, envahit tout mon être.
Le ciel apparaît entre quelques branches. Quelques sifflements
d'oiseaux, puis un léger bruissement. Ce monde tourne.
Mes
mains virevoltent, effleurant les longues tiges dénudées qui se
préparent à affronter l'hiver. Mes pas craquent. Des collines de
feuilles où il fait bon s'enfoncer. Cette envie de courir, de
hurler.
Mes
cheveux s'échappent, m'empêchent de voir. Le vent les fait
tourbillonner. Et à nouveau, cette odeur grisante m'envahit. Une
senteur sauvage, exaltante. Je commence à courir, dévale à perdre
haleine les sentiers, me perd entre les troncs, me glisse sous des
branches, dérape sur la mousse. Tombe. Me relève. Et je n'en finis
plus de rire.
Ce
monde tourne et moi, en son centre, ris. Les branches nues
s'entremêlent. Quelques feuilles tombent. Le sol se couvre.
Doucement, la brume se lève.
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